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Souvenirs du Lieutenant-Colonel Pigouche Commandant l'artillerie du 22e corps à l'Armée du Nord. Prise de Ham le 10 décembre 1870

18 Février 2018 , Rédigé par Trocmé

Prise de Ham, 10 décembre 1870 . .

Le général Faidherbe prend le commandement de toute l'Armée du Nord Le 4 décembre, jour le la Sainte-Barbe, je reçois une lettre de service du général Farre qui me nomme chef d'escadron, commandant la lre batterie bis, la 2e batterie principale et la batterie de 8 du capitaine de Montebello, sous les ordres du général Lecointe. Le 5 décembre, je quitte Douai avec mes batteries, je me rends à Cambrai, à Marcoing et j'arrive à Vermand le 8, près du général Lecointe. Le 9 décembre nous marchons sur Ham avec l'ordre de cantonner dans les fabriques de sucre situées à 4 kilomètres en deçà de cette petite ville. Le jour commençait à tomber lorsqu'un cultivateur se présente au général pour l'informer que 12 capitaines ingénieurs et 250 pionniers occupaient le fort de Ham. Le général arrête la colonne, met en tête une compagnie de chasseurs à pied suivie de la lre section de la 2e batterie principale, une 2e section au centre et la 3e section à la queue de notre colonne. Le général ordonne le silence le plus complet, et vers 7 heures du soir nous entrons dans Ham sans aucun bruit, la baïonnette au bout du canon, marchant dans une neige épaisse qui éteignait le pas des chevaux et le roulement des voitures. Les pionniers, nous prennent pour des Prussiens, viennent près de nous, et sont couchés sur la neige par nos baïonnettes. On nous indique le café où se trouvaient les capitaines ingénieurs, nous les surprenons buvant l'absinthe et nous les faisons tous prisonniers. La compagnie des chasseurs à pied se rend à la gare, le poste prussien sort et est anéanti. Deux pièces sont mises en batterie dans la rue qui conduit à la porte d'entrée du fort, et tirent quelques coups de canon. Les pionniers, comprenant que toute défense était inutile, se rendent vers 11 heures du soir. Le lendemain matin, les prisonniers et les capitaines ingénieurs sont dirigés, sous bonne escorte sur Bergues (Nord) où ils sont internés. Le général Lecointe me donne l'ordre de distribuer les chevaux des Prussiens aux officiers supérieurs d'infanterie et de faire main basse sur toutes les caisses des capitaines ingénieurs.

A l'écurie, je vois des chevaux gras à lard, ayant pour litière un demi-pied de grains d'avoine. Je donne les chevaux de selle aux officiers d'infanterie et je garde les chevaux de trait pour l'artillerie. Mes maréchaux-ferrants démolissent les malles des officiers prussiens dont le contenu était des plus étranges. J'y trouve des montres, des bottines de femme, des fusils de chasse, des pipes en écume de mer, des chemises neuves, des bas neufs de laine, de grandes pièces de drap et de flanelle, etc., en un mot tout ce qu'on rencontre dans les logements des cambrioleurs de Paris. Ma distribution faite, j'envoie à Douai par les voies rapides, toutes les armes de nos prisonniers et je vais déjeûner avec les officiers de mon ancienne batterie pour fêter ce premier succès, la nomination du lieutenant Bocquillon au grade de capitaine et la mienne au grade de chef d'escadron. Dans l'après-midi du 10 décembre, le général Faidherbe arrive à Ham et fait l'ordre suivant dont voici l'essence : « Officiers, sous-officiers et soldats de l'Armée du Nord, Pour vaincre, je vous demande trois choses, le mépris de la mort, l'austérité des mœurs, et une discipline à toute épreuve ». Le Commandant en chef de l'Armée du Nord, Signé ~: FAIDHERBE.

Le 11 décembre, la colonne du général Lecointe se dirige du côté de La Fère dans le but de surprendre cette place. Par une neige épouvantable, l'état-major suit à pied la voie de fer, conduisant les chevaux par la bride. A 5 ou 6 kilomètres de Tergnier, le lieutenant de Boisson, accompagné de mon ordonnance originaire de ce pays, se rend à la gare de Tergnier, voit un train rempli de Prussiens et vient de suite en rendre compte au général. Une section de chasseurs à pied s'embusque dans une bonne position et attend le train avec ordre de faire une salve sur la machine pour tuer les mécaniciens. A cent mètres environ de notre embuscade, un Prussien descend de la machine avec une lanterne à la main et avance tout doucement avec le train. Il crie une première fois (verda) « qui vive ? », une deuxième fois « qui vive ? » et au troisième cri l'officier de chasseurs à pied commande le feu. L'homme à la lanterne tombe, mais par un hazard miraculeux, le mécanicien n'est pas tué, fait machine en arrière et s'en retourne à toute vitesse à Tergnier et à La Fère. Nous arrivons à Tergnier en pleine nuit et tout l'état-major loge à la gare. J'étais très inquiet sur le sort de mes batteries lorsqu'un homme coiffé d'un bonnet blanc et vêtu d'une blouse remplie de farine m'accoste et me dit tout en mangeant sa tartine : « Mon commandant, vos batteries sont arrivées à bon port et bien cantonnées ». Je lui demande qui il est. Il se met à rire et me répond : « Gomment vous ne me reconnaissez pas ? Je suis Rey, votre franc-tireur d'escorte, comme vous aviez manifesté votre inquiétude au général, j'ai pris les devants, je me suis déguisé en meunier, j'ai été à la recherche de vos batteries et me voilà ! ». Je lui serre une main cordiale et je le remercie avec effusion. Pour prendre la ville de La Fère, il eût fallu en faire le siège et tuer un bon nombre de Français internés dans cette petite place. Le général Faidherbe a jugé cette opération impraticable et nous a donné pour objectif Corbie, non loin de Pont-Noyelles. Les ingénieurs prussiens et les pionniers fait prisonniers à Ham avaient pour mission de détruire les poteaux télégraphiques et les voies de fer. Les simples soldats étaient des ouvriers de choix et les officiers des spécialistes très distingués. Ces derniers possédaient de jolies voitures de maître très bien attelées et avaient plutôt l'air civil que l'air militaire. Leur situation en Prusse devait être très grande, car, à plusieurs reprises, le général Von Gœben et le général Manteufel ont proposé au général Faidherbe un échange de prisonniers, et jamais notre général n'a consenti à satisfaire les desiderata de ses adversaires.

 

 

Voici, fait par le lieutenant-colonel Pigouche, un autre récit de la prise de Ham, plus détaillé que le précédent : « Après deux jours de repos dans la petite ville de Vermand (Aisne) , notre petit corps d'armée s'est dirigé sur Ham (Somme), avec ordre de ne pas entrer dans Ham et de cantonner dans les nombreuses fabriques et les petits villages qui avoisinent ce chef -lieu de canton. Nous arrivions au gîte d'étape lorsqu'un exprès, envoyé par le maire de Ham, informe le général Lecointe que douze capitaines ingénieurs prussiens et 250 pionniers occupent le fort et les maisons de cette petite ville. Le général arrête la colonne, recommande le plus grand silence, met en tête une compagnie de chasseurs à pied, et, derrière, une section de mon artillerie. On met la baïonnette au bout du canon, on s'avance sans faire aucun bruit. Les roues des voitures étant silencieuses dans la neige, nous arrivons bientôt à Ham, vers six heures du soir, en pleine obscurité. Les soldats prussiens, voyant arriver une colonne, croient qu'ils ont affaire à des camarades et viennent à notre rencontre, ils sont vite couchés dans la neige à l'aide de la baïonnette. On ne tire pas, on se rend à l'auberge où les officiers buvaient l'absinthe et on les fait prisonniers à leur grand ahurissement.

Les chasseurs à pied se rendent à la gare; le poste des prussiens sort, il est de suite fauché et remplacé par nos braves petits chasseurs. L'alarme est donnée, les pionniers rentrent au pas de course au fort, ferment les portes, se barricadent, et commencent un feu désespéré qui ne tarde pas à s'éteindre devant les deux pièces invisibles du lieutenant Guérin qui, chargées d'abord à obus, détruisent les portes du fort et qui, ensuite chargées à mitraille, jettent la mort et la consternation parmi les pionniers les plus vaillants. Vers minuit les prussiens se rendent. Je vais me coucher au presbytère, et le lendemain matin, le général Lecointe, me donne l'ordre de distribuer les chevaux des prussiens aux officiers français. Je pénètre dans le fort et je me rends aux écuries où je trouve des chevaux gras à pleine peau, couchant non sur de la litière de paille mais sur un demi-pied d'avoine en graines. Je fais ma distribution consciencieusement et je donne au commandant Cottin, le cheval de la fille d'un capitaine ingénieur prussien, avec les recommandations que m'avait faites son propriétaire qui avait plutôt l'air d'un magistrat que d'un officier. M. Cottin est devenu colonel, chef de la maison militaire du corps législatif, et plus tard général. Je fais défoncer les nombreuses caisses des officiers par mes maré- chaux-ferrants, et je les trouve remplies de flanelles, de montres, de fusils de chasse, de selles anglaises toutes neuves, de bottines de femmes, etc., etc. J'en fais la distribution, et je visite les chambres salies par des inscriptions en allemand et en mauvais français où l'on lisait : m.... pour l'Empereur Napoléon, mort à ces français, etc., etc. ! ! Je m'empare des chevaux de trait et des fourgons qui pouvaient servir à mon artillerie, les capitaines ingénieurs et les pionniers sont envoyés sous bonne escorte à Bergues, près de Dunkerque et leurs armes sont expédiées à l'arsenal de Lille ».

 

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